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2020-09-01 Articles

La précrastination : Connaissez-vous?

1er septembre 2020

La majorité d’entre nous connaît le terme procrastination, soit le fait de remettre à demain ce qui peut être fait aujourd’hui. Par contre, êtes-vous familier avec le terme précrastination?

Rosenbaum et ses collègues définissent la précrastination comme la tendance à compléter ou débuter une tâche le plus rapidement possible au détriment d’effort physique supplémentaire.[1] Alors que l’avocat réalise des tâches plus intellectuelles, la précrastination se traduit par l’empressement à réaliser une tâche donnée dès qu’elle se présente au détriment de sa santé, la qualité des services rendus ou d’autres tâches prioritaires.

De fait, l’équipe de Rosenbaum a mis à jour le processus de précrastination dans le cadre d’une série d’études dont les résultats ont été publiés en 2014.[2] Dans le cadre des études, les chercheurs ont demandé à des étudiants de transporter des seaux d’eau d’un certain poids et situés à différents endroits dans une allée, et ce, jusqu’au bout de l’allée. Les étudiants pouvaient déterminer quel seau, ils allaient transporter. En fait, les étudiants ont reçu comme seule instruction de faire ce qui leur semblait le plus facile. De manière inattendue, les étudiants ont choisi le premier seau d’eau alors que les chercheurs s’attendaient à ce qu’ils prennent le seau le plus loin afin de le transporter sur une moins grande distance. Les conditions de réalisation de l’expérience ont été modifiées à quelques occasions pour exclure un certain nombre d’explications concernant le comportement des étudiants. Questionnés sur la raison de leur choix, les étudiants ont mentionné majoritairement vouloir exécuter la tâche le plus rapidement possible. En somme, le choix effectué par les étudiants reflétait une tendance à précrastiner au détriment d’un effort physique supplémentaire.

Manifestations de la précrastination dans la pratique du droit

La précrastination peut se manifester de plusieurs manières dans le cadre de la pratique du droit. En voici quelques exemples :

  • Répondre immédiatement à ses courriels alors que dans certaines situations, nous aurions eu avantage à retarder notre réponse afin de transmettre aux clients des explications ou recommandations mûrement réfléchies; 
  • Alors qu’un avocat senior entre dans notre bureau pour nous confier un nouveau dossier non urgent, s’affairer immédiatement à la tâche au détriment de la rédaction d’une opinion qui doit être transmise dans les prochaines heures; 
  • Interrompre une conversation importante avec un collègue ou un client pour lui faire part d’une idée que nous ne voulons surtout pas oublier. 

Les causes liées à la précrastination 

Il convient de demeurer prudent concernant les causes de la précrastination puisque les recherches sur le sujet en sont à leurs balbutiements. Cela étant dit, certaines explications reviennent plus régulièrement que d’autres pour expliquer le phénomène.

Tout d’abord, l’une des explications avancées est que la précrastination serait un reliquat de nos ancêtres.[3] À une certaine époque, alors que ces derniers vivaient de la chasse et de la pêche, si un chevreuil se présentait, mieux valait l’abattre puisque l’occasion pouvait ne pas se représenter de sitôt. De même, il était plus logique d’opter pour des solutions simples et pratiques que de remettre les choses à plus tard d’où la propension à agir rapidement.

Parmi les autres hypothèses régulièrement mises de l’avant, notons le soulagement de sa charge mentale. Autrement dit, en effectuant la tâche immédiatement, nous n’avons plus à la garder à l’esprit pour une exécution future et nous pouvons la rayer de notre to-do list. En lien avec ce qui précède, l’accomplissement d’une tâche apporte une gratification immédiate. Aussi, en accomplissant plusieurs petites tâches, nous retirons une satisfaction sur le moment et avons l’impression d’être productifs.[4]

Par ailleurs, la précrastination pourrait constituer une façon de soulager une émotion négative liée à la charge de travail. À titre d’exemple, cela peut être l’anxiété liée à l’accumulation des tâches.[5] Ainsi, en nous attelant rapidement à ces dernières, nous évacuons tout aussi rapidement cette anxiété.

En outre, il s’agirait d’une manière de projeter une belle image de soi en démontrant notre productivité.[6] Dans un tel cas de figure, la précrastination est liée à la confiance en soi.

En terminant, la précrastination se manifesterait chez les personnes qui confondent   « vite faire » avec « bien faire ».[7]

Répercussion dans sa pratique 

Bien que dans notre société actuelle où les individus doivent carburer à 100 milles à l’heure la précrastination puisse sembler un atout, il n’en est rien.

Dans le cadre d’une entrevue donnée à La Presse, le psychologue Nicolas Chevrier explique que les précrastinateurs sont des perfectionnistes prescrits par les autres. Ils entretiennent l’idée que les gens ont de fortes attentes à leur endroit et qu’ils doivent réaliser immédiatement toute nouvelle tâche qui leur est confiée.[8]

La problématique provient du fait que ces personnes ont tendance à se disperser et faire plusieurs choses à la fois. Il en résulte un plus haut niveau de stress et de fatigue et éventuellement un épuisement professionnel. En plus, ces personnes éprouvent de la difficulté à terminer leur travail. En effet, comme elles s’empressent d’effectuer toute nouvelle tâche, elles ne finalisent pas nécessairement la précédente. Ainsi, à la fin de la journée, lorsqu’elles regardent leur to-do list, elles constatent que plusieurs tâches anodines ont été accomplies, mais que le travail demandant une réflexion soutenue n’a pas été complété. Vu ce qui précède, elles expérimentent un sentiment d’inefficacité et d’insatisfaction.[9]

Concrètement, un avocat précrastinateur éprouve de la difficulté à respecter ses délais. En plus, des erreurs d’inattention sont susceptibles de survenir en raison du multitâches et de la fatigue liée à la précrastination. Aussi, au lieu de gagner en productivité, la précrastination fait perdre de précieuses minutes à l’avocat qui doit corriger ses erreurs ou reprendre le travail.[10] Par ailleurs, comme l’avocat précrastinateur est prompt à réagir, il ne possède pas toujours le recul nécessaire ce qui l’amène à suggérer des stratégies ou à fournir des explications qui réflexion faite ne sont pas optimales. Il est par conséquent aisé d’entrevoir les répercussions de la précrastination sur la responsabilité professionnelle des avocats.

Une solution s’il vous plaît! 

Dans la mesure où vous vous êtes découvert une tendance à la précrastination, rassurez-vous, tout n’est pas perdu! Il va sans dire que la précrastination soulève des enjeux eu égard à la gestion de son temps. Aussi, une façon d’atténuer les effets de la précrastination consiste à organiser et planifier vos activités selon leur urgence et leur importance.  À cet égard, Stephen R. Covey, diplômé de Harvard, fondateur de FranklinCovey et auteur de plusieurs livres à succès, apporte un éclairage intéressant dans son livre Les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu’ils entreprennent.[11]

De fait, M. Covey explique qu’avant même de penser à réorganiser votre agenda, une étape en amont demeure essentielle : l’identification de vos valeurs et objectifs profonds. En effet, en déterminant vos valeurs et les objectifs que vous poursuivez, vous établissez les assises permettant d’organiser votre temps de manière efficace et satisfaisante.

Une fois cette première étape complétée, M. Covey suggère un outil inspiré de la matrice du général Dwight David Eisenhower (34e président des États-Unis) pour appuyer la gestion de son temps en fonction de ses priorités. La matrice comporte les quatre quadrants suivants :

Urgent Non-urgent
Important I

ACTIVITÉS

Crises
Problèmes pressants
Projets soumis à échéance
II

ACTIVITÉS

Prévention, activités relatives à notre capacité de production
Approfondissement des relations
Recherche de nouvelles opportunités
Planification et détente
Non important III

ACTIVITÉS

Interruptions, appels téléphoniques, courrier et rapports à la suite de certaines réunions
Diverses questions à régler rapidement
Diverses activités gratifiantes
IV

ACTIVITÉS

Activités futiles
Courrier
Certains appels téléphoniques
« gaspille-temps »
Passe-temps agréables

Inspiré du tableau de Stephen R. Covey

Brièvement, ce qui est urgent réfère aux tâches qui doivent être effectuées maintenant. Selon M. Covey, elles nous poussent à l’action. Par ailleurs, il mentionne que les tâches importantes sont liées à nos résultats. Pour M. Covey, une tâche importante « contribue à concrétiser notre mission, à défendre nos valeurs et objectifs prioritaires ».[12] Aussi, l’idée centrale concernant l’utilisation de ce tableau est d’accorder le plus de temps possible aux activités du cadre deux. Plus facile à dire qu’à faire me direz-vous? Certes, la tâche n’est pas aisée. En fait, deux implications majeures découlent de ce qui précède. Premièrement, vous devrez réduire le temps consacré aux activités des cadres trois et quatre. Par ailleurs, cette réduction n’est possible que si vous apprenez à vous affirmer et à dire non à certaines activités. Voici donc quelques suggestions pour vous appuyer dans vos démarches :

  • Privilégiez une planification hebdomadaire par opposition à une planification journalière. Cette façon de faire permet d’avoir une vision globale et diminue les risques que votre temps soit consacré uniquement à la gestion de crises quotidiennes. Une telle planification permet également d’être plus réaliste dans vos échéances;
  • Prévoyez dans votre agenda des blocs d’heures de travail dédiés à la réalisation des tâches liées à chacun des cadres. Il va de soi que le temps consacré aux activités du cadre deux devrait être proportionnellement plus important que le temps consacré aux activités se situant dans les autres cadres;
  • Laissez-vous une période de temps « tampon » entre chaque activité. Nous avons souvent tendance à sous-estimer le temps de réalisation de chaque tâche. Lorsque l’horaire est trop serré, cela rajoute un stress qui n’est pas nécessaire;
  • Prévoyez une plage horaire dans votre journée pour gérer les imprévus qui se seront présentés;
  • Déterminez si certaines activités peuvent être déléguées. De manière générale, les activités du cadre trois se prêtent bien à la délégation;
  • Adoptez une saine hygiène de vie. Aussi, établissez dans votre agenda des périodes dédiées au repos et à la pratique d’exercices que vous affectionnez. Bien s’alimenter, dormir suffisamment et pratiquer de l’exercice physique permettent de fournir l’énergie nécessaire pour affronter les journées, qui avouons-le, sont bien remplies;
  • Éteignez la sonnerie de vos téléphones (bureau et cellulaire) ainsi que l’alarme de notification de réception de vos courriels. Cela vous permettra d’éviter les distractions lors de l’exécution d’une tâche;
  • Informez vos collègues de vos démarches liées à la gestion de votre temps tout en les rassurant eu égard à votre flexibilité. Plus particulièrement, mentionnez-leur qu’une telle planification ne peut être que bénéfique relativement à la qualité du travail effectué;
  • De façon similaire, gérez les attentes de vos clients relativement aux délais et assurez-vous que ces attentes sont réalistes. De cette façon, vous diminuerez les chances d’être l’objet de reproches en raison du non-respect d’un délai. De même, n’acceptez un mandat que si vous avez suffisamment de temps pour vous en occuper;
  • Enfin, affirmez-vous! Cela implique de dire non aux activités qui ne vous conviennent pas ou pour lesquelles vous n’avez tout simplement pas le temps.

Ce qui nous amène à conclure cet article avec une citation de l’écrivain Louis Guilloux : « Il est certes nécessaire de ne pas perdre son temps, mais il est plus nécessaire encore de bien savoir le prendre ».

 

[1] Rosenbaum, D.A., Gong, L. et Potts, C.A. (2014). Pre-Crastination: Hastening Subgoal Completion at the Expense of Extra Physical Effort. Psychological Science, 25(7), 1487-1496. https://doi.org/10.1177/0956797614532657

[2] Id.

[3] Rosenbaum, D.A., Wasserman, E.A. (2015). Pre-Crastination: The Opposite of Procrastination. Scientific American. Repéré à : https://www.scientificamerican.com/article/pre-crastination-the-opposite-of-procrastination/; Matthieu, Êtes-vous un précrastinateur? Ou comment faire tout de suite ce qui aurait pu ne pas être fait plus tard. Repéré à : https://simplementdanslebonsens.com/2019/05/27/etes-vous-un-precrastinateur-precrastination-travail-tout-de-suite/

[4] Id.

[5] Matthieu, préc., note 3.

[6] Morin, I. (2016). La précrastination pour en finir au plus vite. La Presse. Repéré à : https://plus.lapresse.ca/screens/3c8d6186-4fc5-4f2b-9b3d-87773872c0c4__7C___0.html

[7] Chalaux, A. (2015). La précrastination, cet autre trouble de l’organisation. Psychologies. Repéré à : https://www.psychologies.com/Travail/Souffrance-au-travail/Stress-au-travail/Interviews/La-precrastination-cet-autre-trouble-de-l-organisation

[8] Morin, I., préc., note 6.

[9] Chalaux, A., préc., note 7.

[10] Burkus, D. (2014). The Irresistible Allure of Pre-crastination. Harvard Business Review. Repéré à : https://hbr.org/2014/08/the-irresistible-allure-of-pre-crastination

[11] Covey, S.R. (2005). Les 7 habitudes de ceux qui réalisent tout ce qu’ils entreprennent (traduit par A. Guenette). J’ai Lu.

[12] Id., p. 211

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