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2021-08-02 Articles

En milieu de carrière : Demeurez vigilant!

1er août 2021

Après plusieurs années de pratique, vous avez enfin trouvé votre rythme et acquis une confiance indéfectible en vos capacités. Vos dossiers sont intéressants et vos collègues et clients vous apprécient. Mais voilà qu’un beau jour vous recevez une mise en demeure d’un client vous reprochant de l’avoir mal conseillé dans le cadre d’une transaction. Vous êtes décontenancé! Vous aviez cru, un peu naïvement, que votre expérience vous protégeait de réclamations ou de poursuites en responsabilité professionnelle.

Pourtant, les avocats entre 11 ans et 25 ans de pratique sont sensiblement plus à risque de faire l’objet de réclamations ou de poursuites. En voici les raisons…

Voyons quelques facteurs de risques guettant les avocats en milieu de carrière :

Communications avec le client

La cause la plus fréquente des réclamations contre les avocats, peu importe le nombre d’années de pratique, implique les relations avec le client. L’un des éléments permettant d’expliquer que la relation se détériore entre un avocat et son client est la présence de lacunes dans leurs communications. En effet, il arrive que des avocats d’expérience négligent de soigner leurs communications, et ce, pour différentes raisons :

  • Le mandat confié est dans leur champ usuel de pratique;
  • La demande formulée par le client est peu complexe;
  • Il s’agit d’un client de longue date avec lequel l’avocat a développé une relation privilégiée. Par conséquent, l’avocat croit ne pas avoir à lui confirmer par écrit ses conseils ou se sent mal à l’aise de le faire. Il désire éviter que le client pense qu’il n’a pas confiance en lui;
  • De même, cette longue relation professionnelle peut amener l’avocat à tenir pour acquis qu’il n’a pas à expliquer au client un aspect du dossier, ce client et cet avocat ayant déjà eu plusieurs dossiers similaires dans le passé.

À retenir : Écrire, écrire et encore écrire, vous n’écrirez jamais assez pour vous protéger. Cela débute avec une lettre-mandat décrivant la nature et l’étendue du mandat, et ce, même si le client vous a déjà confié un dossier similaire. Par la suite, informez régulièrement le client des développements dans son dossier et documentez les conseils prodigués, ceux que le client a acceptés et ceux qu’il a refusés.

Également, ne présumez de rien. Ce n’est pas parce que le client a accepté une offre de règlement dans le passé, qu’il est disposé à accepter une offre similaire dans un autre dossier. Ainsi, assurez-vous d’obtenir les instructions écrites du client avant d’accepter une offre de règlement ou de poser tout geste stratégique dans son dossier.

Dans le même ordre d’idée, le fait d’avoir représenté le client dans plusieurs dossiers semblables ne décharge pas l’avocat de son devoir de conseil. Il est donc primordial de fournir au client l’ensemble de l’information pertinente pour qu’il prenne une décision éclairée.

Excès de confiance

Les routines de la pratique sont connues et familières. Un excès de confiance peut amener un avocat d’expérience à négliger d’utiliser des listes de contrôle ou de vérifier certains éléments puisque les mêmes lettres/procédures/arguments ont été utilisés des centaines de fois dans le passé…

Ainsi, un conflit d’intérêts peut être découvert plusieurs mois après avoir accepté un mandat causant ainsi un préjudice au(x) client(s) qui devra(ont) se trouver un nouvel avocat. De même, une erreur peut survenir puisque l’avocat n’a pas pris la peine de vérifier que son modèle de contrat corresponde aux besoins de son client.

À retenir : Tout d’abord, l’utilisation de listes de contrôle est loin d’être enfantine. Elle nous permet de déceler un problème qui autrement serait passé inaperçu vu le rythme effréné de la pratique. En plus, elle limite les risques d’oublis et réfrène la tendance à tourner les coins ronds par excès de confiance.

Pour ce qui est de l’utilisation de modèles, certes ces derniers permettent d’économiser de précieuses minutes. Cependant, assurez-vous que toutes les clauses pertinentes y sont ajoutées et que celles inappropriées sont retirées. 

Attentes plus élevées

L’expérience s’accompagne d’attentes plus élevées que ce soit de vos clients ou de vos collègues. Ces attentes peuvent porter sur les délais pour exécuter une tâche ou mener à terme un mandat. Également, elles peuvent être liées aux résultats ou aux conclusions du dossier (Ex. : Gagner le procès ou obtenir un montant important lors d’un règlement).

À retenir : Dans tous les cas, soyez honnête avec vos clients et vos collègues sur ce qui peut être accompli et dans quel délai. À cela s’ajoute, votre obligation envers les clients de les informer de tous les aspects de leur dossier (faiblesses et éléments favorables).

Domaines de droit non familiers

Un client de longue date peut vouloir confier à l’avocat d’expérience des mandats dans des champs de pratique autres que ceux qui relèvent des compétences habituelles de l’avocat, la raison étant que le client a confiance en son avocat actuel et ne désire pas le remplacer. Dans un tel cas de figure, il peut être tentant d’accepter le mandat pour « faire plaisir au client » ou par « crainte de le décevoir ou de le perdre ». Or, accepter un mandat dans un domaine de droit peu familier accroît les risques d’erreurs.

À retenir : Confronté à une telle situation, interrogez-vous sur l’existence de ressources au sein de votre cabinet qui sont aptes à exécuter le mandat. En cas contraire, mieux vaut refuser ce dernier. Voici une piste d’excuse inoffensive pour décliner le mandat avec délicatesse et doigté :

« Mon expérience est limitée dans ce domaine

et je ne peux pas te représenter adéquatement

dans un domaine qui ne m’est pas familier… »

Délégation

Un des privilèges qui vient avec l’expérience est la plus grande facilité à déléguer une partie du travail à des avocats plus jeunes et moins expérimentés ou à du personnel de soutien. Cependant, des erreurs peuvent survenir parce que ces derniers n’ont pas une vue d’ensemble du dossier, parce qu’ils ne saisissent pas certains enjeux, ou encore, parce qu’ils ne sont pas informés des attentes du client (Ex. : Coûts, délais ou résultats). Aussi, n’oubliez pas que face à votre client, vous demeurez responsable des erreurs commises par votre personnel de soutien ou celles de vos plus jeunes collaborateurs que vous vous étiez engagé à surveiller!

À retenir : Une fois que vous aurez établi qu’une tâche peut être déléguée, assurez-vous d’obtenir le consentement écrit du client. Il pourrait être utile d’ajouter une clause à cet effet dans votre mandat initial. Par la suite, expliquez à votre collaborateur votre vision du dossier et ce qui est attendu de lui. N’oubliez pas d’effectuer des suivis auprès de votre collaborateur et faites preuve de disponibilité s’il a des questions. Déléguer ne veut pas dire ne plus s’en occuper… Pour de plus amples informations sur le processus de délégation efficace, veuillez-vous référer à l’article On peut déléguer des tâches, mais pas sa responsabilité!.

Complexité des dossiers et valeur monétaire plus élevée 

Les avocats d’expérience traitent souvent des dossiers qui ont une plus grande complexité ou qui possèdent une valeur monétaire plus élevée, rendant toute « perte » plus considérable.

À retenir : L’objectif n’est certes pas de refuser ce type de mandat. Cependant, il est judicieux de solliciter l’avis de collègues en cas de doute et de faire vérifier l’exactitude de vos opinions et de vos stratégies auprès de l’un d’entre eux.

Maîtriser à fond son champ de pratique, avoir confiance en ses capacités et entretenir des relations privilégiées avec des clients de longue date font partie des avantages découlant de l’expérience.

Il n’en demeure pas moins que les avocats d’expérience, comme tous les avocats d’ailleurs, doivent demeurer vigilants dans leurs communications avec leurs clients, la gestion des attentes de ces derniers, les mandats délégués ainsi que la vérification et la documentation de leurs dossiers.

 

Références :

Voir « Les risques augmentent-ils avec l’expérience », dans bulletin Praeventio (2007), en ligne : https://farpbq.blob.core.windows.net/media/1434/bullprevnov2007.pdf.

Canadian Lawyers Insurance Association, « Mid-career lawyers at greater risk of malpractice? », (2000) 29:120 Loss Prevention Bulletin, en ligne : https://www.clia.ca/uploads/9/5/6/7/95675990/lpb29.pdf.