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2020-08-03 Articles

Marika et la partie non représentée

Août 2020

Péripéties d’une jeune avocate pas comme les autres!

Marika et la partie non représentée

 

Par un bel après-midi de juin, Marika finalise l’envoi de quelques courriels avant de retrouver son amie Alice pour leur cours de yoga en plein air. C’est alors que son téléphone sonne. Il s’agit de sa tante France qui lui explique que sa collègue Maryse a récemment acheté d’un particulier un véhicule motorisé afin de profiter pleinement de la période estivale. Pour inaugurer la saison, Maryse avait décidé de louer un terrain à Baie-Saint-Paul. Malheureusement, le véhicule n’a pas survécu au relief montagneux de la région puisqu’en gravissant l’une des nombreuses pentes menant au camping, il s’est immobilisé et a refusé de redémarrer. L’examen mécanique a révélé plusieurs problématiques et faire réparer le véhicule nécessiterait plusieurs milliers de dollars.

Pourtant, au moment de la vente, le vendeur n’avait rapporté aucun problème avec le véhicule et un court essai routier n’avait pas permis de constater de problématiques apparentes. Maryse est donc très déçue puisque l’achat d’un véhicule motorisé a toujours été son rêve de retraite. En effet, ce véhicule devait lui permettre de faire le tour des États-Unis avec son conjoint. Mais il y a plus! Elle est dorénavant très anxieuse et n’a plus confiance dans ce véhicule. Ainsi, Maryse a communiqué avec son vendeur lui demandant d’annuler la vente, mais ce dernier a refusé. Vu ce qui précède, France demande à Marika si Maryse pourrait la rencontrer rapidement pour évaluer ses recours. Marika fixe un rendez-vous le lendemain et comme prévu, elle rencontre Maryse.

Après avoir pris connaissance de la soumission du garagiste et avoir discuté avec Maryse, Marika conclut que l’annulation de la vente est appropriée vu le caractère caché des vices et le montant des travaux de réparation. Ainsi, elle obtient le mandat de transmettre une mise en demeure au vendeur et en l’absence de dénouement positif, d’introduire une Demande en annulation de la vente du véhicule. Marika prépare donc la mise en demeure et la transmet au vendeur. La réponse ne se fait pas attendre. Le vendeur nie catégoriquement que son ancien véhicule motorisé soit affecté de vices cachés et refuse de le reprendre. L’action en annulation de la vente du véhicule est par conséquent introduite.

Quelques jours plus tard, Marika reçoit la Réponse du vendeur qui se représente seul. Elle prépare donc un projet de Protocole de l’instance qu’elle lui transmet par courriel en lui expliquant qu’il s’agit d’un document prévoyant les étapes du déroulement du dossier.

Une semaine plus tard, elle reçoit un courriel du vendeur auquel est joint le Protocole de l’instance avec plusieurs annotations au crayon rouge. Il a notamment rayé l’étape prévoyant son interrogatoire. Il lui explique dans son courriel qu’il n’a nul besoin d’être interrogé puisque le dossier est simple et qu’il est prêt à se défendre contre les mensonges allégués dans la Demande en annulation de la vente. Toujours par courriel, Marika explique au vendeur que le Code de procédure civile l’autorise à l’interroger vu les montants en litige. S’ensuivent alors de volumineux échanges de courriels qui culminent par un Avis de gestion.

Lors de la présentation de l’Avis de gestion, le juge explique au vendeur l’objectif du Protocole de l’instance et confirme le droit de Marika d’interroger ce dernier. Après plusieurs minutes passées dans un cubicule à réexpliquer au vendeur le déroulement normal d’une instance, Marika s’entend finalement avec ce dernier sur le contenu du protocole. Le juge entérine celui-ci.

Quelques semaines plus tard, Marika procède à l’interrogatoire du vendeur et lui demande plusieurs documents à titre d’engagements en s’étant assurée au préalable de lui expliquer de quoi il s’agit. À la suite de la réception des notes sténographiques de l’interrogatoire, elle envoie par courriel au vendeur la liste des engagements souscrits. Silence radio! Elle effectue plusieurs suivis, mais demeure sans nouvelles. Elle se résigne donc à notifier un nouvel Avis de gestion afin d’obtenir les engagements.

Le jour de la présentation de son Avis de gestion, le vendeur se présente à la cour et explique avoir été dans l’impossibilité de préparer les documents demandés puisqu’il s’occupait de sa mère malade. Après avoir entendu les représentations des deux parties, le juge fixe un délai au vendeur pour la communication des engagements.

Une semaine avant l’échéance fixée par le juge, Marika rappelle au vendeur par courriel son délai pour communiquer les engagements. Dans les minutes qui suivent, elle reçoit un courriel de ce dernier lui expliquant que le volume de documents requis est important et par conséquent, il lui demande d’acquitter les frais d’impression. Marika communique par écrit avec le vendeur pour lui expliquer que les frais d’impression des documents sont aux frais de ce dernier. Il lui répond alors qu’elle n’obtiendra aucun document de sa part. Malgré les relances de Marika, le vendeur refuse de lui communiquer les engagements. Elle notifie donc un troisième Avis de gestion pour requérir l’obtention des engagements.

Coup de théâtre : la veille de la présentation de l’Avis de gestion, le vendeur se présente au bureau de Marika avec une boîte de documents et affirme que l’ensemble des engagements s’y trouve. Marika convient donc de repousser de deux semaines la présentation de l’Avis de gestion afin de prendre connaissance des documents et s’assurer qu’ils répondent aux engagements souscrits. Lorsqu’elle décide de s’atteler à la tâche, Marika constate rapidement que le vendeur n’a pas identifié les engagements, sans compter que la boîte contient des documents qui n’ont aucun lien avec le litige. Marika informe par écrit le vendeur qu’elle considère qu’il n’a pas répondu aux engagements souscrits et qu’elle n’aura d’autre choix que de présenter son Avis de gestion.

Deux jours plus tard, le vendeur notifie à Marika une procédure intitulée Demande de rejet de l’Avis de gestion et en déclaration d’abus. Non seulement la procédure mentionne que la demande d’engagements est abusive, mais elle contient moult insultes à l’endroit de Marika et des allégations de partialité à l’égard des juges ayant entendu les Avis de gestion précédents. Découragée, cette dernière décide de demander conseil à Me Pagé, l’avocat senior du cabinet. Me Pagé prodigue à la jeune avocate de nombreux conseils forts utiles.

Note À retenir : Nul doute, conjuguer avec une partie non représentée est un défi pour tout avocat. Plusieurs raisons contribuent à rendre un dossier avec une partie non représentée plus complexe, mentionnons notamment : [1]

• La méconnaissance des lois et du processus judiciaire;

• Les attentes irréalistes de la partie non représentée;

• L’émotivité que suscite le litige;

• La confusion des rôles des divers intervenants judiciaires;

• Les difficultés à saisir les procédures qui lui sont notifiées et à rédiger ses propres procédures conformément au Code de procédure civile.

Voici donc quelques suggestions pour mieux gérer vos dossiers impliquant une partie non représentée :

• Tout d’abord, avisez votre client des particularités de faire face à une partie adverse non représentée. En d’autres termes, gérez les attentes de votre client afin d’éviter qu’il perçoive vos démarches auprès de la partie adverse comme un manque de loyauté à son égard. Plus précisément, expliquez-lui qu’une telle situation est susceptible de prolonger le dossier, nécessite des démarches supplémentaires (ex : préparer des documents, communications ou avis de gestion accrus, etc.) et par conséquent, des frais additionnels sont à prévoir. Également, mentionnez à votre client que vous devrez communiquer des informations d’ordre procédural à la partie adverse afin de faire cheminer le dossier, et ce, dans son intérêt. Enfin, rassurez votre client à l’effet qu’aucune opinion ou conseil juridique ne sera donné à la partie adverse. Ajoutez une clause à cet effet dans votre lettre-mandat;

• Communiquez de manière courtoise et respectueuse;

• Utilisez un ton professionnel. Un ton trop familier pourrait laisser croire à la partie non représentée que vous lui manquez de respect ou au contraire lui donner à penser que vous protégez ses intérêts;

• Avisez la partie non représentée que vous privilégiez les communications par écrit pendant les heures normales de bureau (par la poste ou par courriel). Gardez à l’esprit que certaines personnes non représentées enregistrent les conversations téléphoniques;

• Assurez-vous de conserver un registre de toutes vos communications avec la partie adverse non représentée;

• Rédigez vos communications dans un langage clair c’est-à-dire sans jargon juridique ni expression latine;

• Encouragez la partie non représentée (toujours par écrit) à obtenir des conseils d’un avocat. Il est aussi possible de la référer à des organismes tels qu’Éducaloi, des cliniques juridiques, des Centres de justice de proximité ou le guide préparé par la Fondation du Barreau du Québec intitulé Seul devant la cour;

• Précisez-lui dans chaque communication que vous ne protégez pas ses intérêts et que vous représentez les intérêts de votre client uniquement;

• Si vous devez rencontrer la partie non représentée, notamment dans le cadre de vacations à la cour, faites-vous accompagner par quelqu’un (stagiaire ou autre);

• Confirmez par écrit les points importants des discussions;

• Fournissez toute information de nature procédurale dans le but de faire avancer le dossier. En aucun cas, ne donnez de conseils juridiques;

• En terminant, choisissez vos batailles et n’envenimez pas le débat. Plus particulièrement, évitez les Avis de gestion inutiles sur des points qui n’ont aucune répercussion sur le fond du litige. Au procès, réservez vos objections sur des points fondamentaux du dossier. Votre modération sera appréciée par les juges qui y verront un effort de collaboration pour faire avancer le dossier plus rapidement.

Quoi qu’il en soit, conjuguer avec une partie non représentée est susceptible d’apporter son lot d’imprévisibilité. Il n’en demeure pas moins qu’en affichant un comportement calme et collaboratif, il s’agit d’une occasion de démontrer à votre client votre professionnalisme.

 

[1] L’honorable Daniel W. Payette, Les personnes non représentées devant les tribunaux : Défis et opportunités, Texte d’une allocution prononcée devant l’Association du Barreau Canadien-section santé, le 1er décembre 2016.

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