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2021-06-01 Articles

Comment mener vos négociations de main de Maître?

1er juin 2021

Vous êtes en conférence de règlement à l’amiable. Les positions de chacun sont bien campées et les négociations vont bon train. Cela dit, vous estimez que votre client a fait suffisamment de concessions et vous décidez d’un commun accord avec ce dernier de lancer un ultimatum à la partie adverse. Vous jouez la carte de l’offre finale. Vous n’avez pas fini de présenter l’offre que la partie adverse offusquée décide de mettre un terme aux négociations. De toute évidence, votre stratégie de négociation n’a pas fonctionné, et en plus, votre client est déçu. Que s’est-il passé? Peut-être avez-vous négligé la dimension psychologique des négociations?

Dans leur article intitulé Quelques stratégies psychologiques pour mieux négocier, le professeur Jean Poitras des HEC Montréal et le médiateur et consultant en gestion des conflits Fernand Bélair rappellent l’importance de cette dimension dans les négociations. Pour ces auteurs, négliger l’humain « c’est courir le risque de négocier une entente décevante et même de provoquer l’échec des discussions ». Dans le présent article, nous vous présentons les quatre (4) habitudes de négociation suggérées par les auteurs afin de gérer les effets de la dimension psychologique des négociations. 

L’habitude n° 1 : Acquérir une perspective globale

Poitras et Bélair divisent cette étape en deux (2) parties, à savoir : la création d’une liste des priorités à considérer et l’évaluation des rapports de force en présence.

La création d’une liste des priorités à considérer se résume à définir et prioriser avec le client ses besoins, ses objectifs et sur quoi il est disposé à faire des concessions. L’utilisation de cette liste lors des négociations permettra de recentrer les discussions sur ce qui est important pour le client et de s’assurer que rien n’a été oublié.

En outre, la création d’une liste des priorités est, d’une part, un excellent outil pour documenter le dossier et, d’autre part, une piste de solution pour éviter deux (2) pièges psychologiques. De fait, l’illusion de transparence postule que les personnes qui négocient omettent régulièrement de communiquer clairement à l’autre partie ce qui revêt de l’importance pour elles. Ce faisant, la partie adverse n’est pas consciente des besoins de son vis-à-vis. Aussi, la liste des priorités facilite l’expression par le client de ses besoins.

Le second piège à éviter est celui des concessions à l’aveuglette. Dans le feu de l’action, les risques de perdre de vue les intérêts du client ou de faire des concessions coûteuses sont susceptibles de se matérialiser. Comme le font remarquer Poitras et Bélair, « il est toujours douloureux de s’apercevoir après coup qu’on a cédé des éléments prioritaires pour faire des gains qui sont en fait secondaires ». La liste des priorités offre, par conséquent, des balises pour éviter que ce risque se matérialise.

L’acquisition d’une perspective globale comprend également une évaluation des rapports de force en présence. Ultimement, cela implique de gérer les attentes du client afin que ces dernières soient réalistes compte tenu des forces et des faiblesses du dossier. À ce propos, le devoir de conseil de l’avocat lui impose d’informer le client quant à tous les aspects de son dossier, les bons comme les moins bons. L’objectif est que le client soit en mesure de prendre une décision éclairée sur la suite à donner à son dossier. La gestion des attentes du client permet de limiter les reproches, tels que « Mon avocat ne me l’a jamais dit… ». Aussi, établissez différents scénarios de règlement avec le client. Autrement formulé, quelles sont les solutions de rechange en cas d’impasse?

L’habitude n° 2 : Montrer que la collaboration est possible 

Trop souvent, les parties à la négociation croient que la collaboration apparaît naturellement. C’est faux! Il existe fréquemment une animosité initiale entre les parties. Dès le début des négociations, les avocats doivent désamorcer cette animosité pour maximiser les chances qu’une entente mutuellement satisfaisante intervienne. D’ailleurs, le client devrait se voir rappeler que c’est une solution que vous allez chercher en négociant et non un jugement. Il n’y a ni gagnant ni perdant!

En outre, les auteurs mettent en garde les négociateurs contre la compétition par induction. Ce piège psychologique réfère aux appréhensions du négociateur qui l’amènent à se comporter envers l’autre de façon à provoquer chez ce dernier le comportement que le négociateur redoutait. Cette compétition mine la collaboration entre les parties.

Cela dit, comment faire pour instaurer un climat de collaboration? Poitras et Bélair suggèrent d’envoyer rapidement un signal clair du désir de collaborer. Posez un geste d’ouverture à l’endroit de la partie adverse. Il demeure entendu que la concession que votre client fera se doit d’être stratégique et de porter sur un élément secondaire des négociations. Autrement dit, il s’agit d’une concession symbolique pour démontrer sa bonne foi et tester la réaction de l’autre.

Par ailleurs, il importe de retarder au maximum la recherche de solutions. Avant même de formuler une offre initiale, les parties devraient chercher à comprendre le point de vue et les enjeux de l’autre. Gardez à l’esprit que la partie qui formule l’offre initiale crée un point d’ancrage. Ce phénomène renvoie à l’utilisation d’une information comme référence alors qu’elle n’a aucun lien avec l’objectif poursuivi. De manière générale, il s’agit du premier élément d’information obtenu sur le sujet. Le phénomène d’ancrage implique « que l’exploration des solutions tourne uniquement autour d’une offre initiale ». Poitras et Bélair indiquent que la « création d’un point d’ancrage n’a pas pour seul effet de réduire la capacité des parties de trouver des solutions créatives; il est même possible qu’un règlement satisfaisant soit remis en question à cause d’une première offre souvent lancée arbitrairement ». Ainsi, si la partie adverse désire rapidement présenter une offre, demandez-lui d’abord de vous présenter les besoins à l’origine de cette offre. Vous disposerez alors d’un cadre de référence pour l’évaluer.

L’habitude n° 3 : Utiliser les pertes comme levier de négociation 

La majorité des gens possèdent une aversion pour le fait de perdre quelque chose. Ainsi, convaincre notre adversaire des bénéfices liés à notre offre est fréquemment une erreur stratégique. En effet, « les solutions qui minimisent les pertes ont beaucoup plus de poids psychologique que celles qui proposent des gains ». Pour cette raison, intéressez-vous aux problèmes et préoccupations de l’autre partie et tentez d’y répondre.

Dans cet ordre d’idées, les personnes ont tendance à s’attacher à des objets qu’ils possèdent depuis un certain temps ou qui sont le fruit d’un travail acharné. Aussi, plusieurs surévaluent la valeur de cet objet et par conséquent, complexifient les négociations. D’où l’importance de désamorcer progressivement la valeur sentimentale rattachée à l’objet. À titre d’exemple, pensons à un propriétaire et fondateur d’une entreprise. Ce dernier, dans le cadre de la vente de son entreprise, demande plus que ce qu’elle vaut objectivement. Dans un tel cas de figure, Poitras et Bélair suggèrent de séparer graduellement la personne de l’objet auquel elle est attachée. Dans l’exemple ci-dessus, l’acheteur de l’entreprise pourrait proposer au vendeur de lui permettre d’agir comme consultant au sein de l’entreprise pour une période d’un an. Ainsi, l’acheteur gère le bris émotif de façon à éviter de payer un surplus pour la valeur sentimentale que représente l’entreprise pour le vendeur.

Enfin, la dernière stratégie proposée par les auteurs est de présenter vos demandes comme un amortissement de vos pertes. En agissant de la sorte, vos demandes seront perçues par la partie adverse comme étant plus légitimes. Comme le font remarquer Poitras et Bélair, cette formulation permet de ménager l’orgueil de l’autre partie en lui donnant l’impression qu’elle répond à un besoin légitime plutôt qu’un caprice.

L’habitude n° 4 : Partager la victoire avec l’autre 

La préservation de son image sociale et de sa réputation sont deux considérations à ne pas négliger dans le cadre des négociations. Parfois, cela l’emporte même sur les considérations monétaires.

Ceci fait dire à Poitras et Bélair qu’il faut éviter de mettre l’honneur sur la ligne de feu. Ainsi, il faut éviter de formuler une offre de manière à ce que l’autre partie doive la refuser si elle veut préserver son image. À ce sujet, les offres finales, les ultimatums ou les menaces peuvent créer un contexte dans lequel l’autre partie se sent obliger de refuser, et ce, même si l’offre est avantageuse.

De même, il peut être stratégique de présenter l’offre sous une forme qui valorise la partie adverse. Par exemple, en lui soulignant que ses arguments ont fait changer d’avis votre client ou encore, la laisser présenter la solution retenue comme étant la sienne.

Par ailleurs, laissez un certain contrôle par rapport aux décisions. Personne n’aime être acculé au pied du mur. Au contraire, la majorité des gens apprécient avoir une liberté de choix et sentir qu’ils possèdent une capacité à influer sur le déroulement des négociations. D’ailleurs, Poitras et Bélair mettent en garde les négociateurs contre le phénomène psychologique de dévaluation personnelle. Il s’agit de la « tendance des parties à diminuer la valeur des propositions de l’autre simplement parce qu’elles proviennent de l’autre ». Ce phénomène est influencé par la qualité de la relation entre les parties et l’existence ou non d’une liberté de choix. Il est donc important de laisser à la partie adverse une certaine marge de manœuvre. Pour ce faire, il peut être approprié de trouver deux ou trois variantes de votre offre finale, même si la variation ne porte que sur des éléments techniques. De fait, cela donne l’impression à la partie adverse qu’elle possède le dernier mot.

Nous avons donc abordé quelques réflexions du professeur Poitras et du médiateur et consultant Bélair pour bonifier les pourparlers de règlement et aboutir à une entente mutuellement satisfaisante. En gardant à l’esprit les éléments que nous avons vus, vous augmenterez vos chances de convenir d’une entente satisfaisante pour les deux parties. Ce faisant, vous diminuerez les risques que le client ou la partie adverse remette en question la transaction intervenue. Dans cette optique, maîtriser les dimensions psychologiques en négociation c’est aussi appliquer des mesures préventives en responsabilité professionnelle.

 

Référence : Jean Poitras et Fernand Bélair, « Quelques stratégies psychologiques pour mieux négocier », dans Chantale Mailhot et al. (dir.), Habiletés de direction, 2011, 184.